Les couleurs du tantra (1)
- Édaa

- il y a 5 jours
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Dernière mise à jour : il y a 3 jours
Noir, blanc, rouge, une cartographie vivante de la voie tantrique. Une voie qui n’exclut rien.
Le tantrisme n’est pas une croyance, ni une doctrine uniforme.
Ce n’est pas une morale, ni un exotisme spirituel.
C’est une voie d’expérience, de transformation, une manière d’habiter le réel sans le mutiler.
Elle est plurielle, stratifiée, parfois dérangeante.
Pour approcher sa richesse sans la réduire, une cartographie simple et ancienne s’impose :
celle des trois couleurs, noir, blanc, rouge.
Elles ne désignent pas des écoles figées, encore moins des identités spirituelles.
Ce sont des dynamiques de conscience, des climats intérieurs, des manières d’entrer en relation avec le corps, l’énergie, le désir et le sacré… et la transgression.
Un même chemin peut les traverser toutes successivement.
Un même être, ou un même moment peut les porter simultanément.
Noir, la profondeur qui ne détourne pas le regard
Descendre, intégrer, transmuter
Le noir est la couleur de ce qui précède la forme.
La nuit fertile, initiatique, l’ombre matricielle, l’endroit où les masques tombent.
L’obscurité qui engloutit les illusions.

Le tantrisme noir ne cherche pas à corriger l’humain.
Il accepte de le regarder tel qu’il est, jusque dans ses replis les moins avouables.
Les forces sombres de l'humain sont assumées comme matières premières de l’éveil.
Peurs, pulsions, rage, sexe, désir de pouvoir, rapport à la mort…
rien n’est expulsé hors du champ du sacré.
Ici, la transformation passe non pas par l'évitement, mais par la traversée consciente.
et de toute façon, même l’évitement est accepté comme un outil essentiel, à condition de ne pas le nier.
Les figures terrifiantes, les symboles de dissolution, les rituels intenses ne sont pas des provocations : ils sont des miroirs.
Ici, on frole les limites sans les franchir.
Le noir authentique ne glorifie pas la transgression.
Bien au contraire, il exige une maitrise intérieure rigoureuse, car ce qui est invoqué est réel, puissant, instable.
Lorsque le cadre disparait, le noir dégénère.
Lorsqu’il est tenu, il libère une lucidité radicale.
Lorsqu’il devient recherche de choc, d’abus ou de domination, il quitte le tantrisme pour tomber dans sa caricature.
Le noir est une descente consciente, jamais une perte de souveraineté.
Blanc, la clarté qui ordonne sans dessécher
Clarifier, pacifier, orienter
Le blanc est la couleur de l’aube. La couleur de la lumière structurante.
Non pas l’éblouissement, mais éclairer pour mettre en ordre.
Le tantrisme blanc dans cette dynamique est proche du yoga classique, du bouddhisme tantrique, de certaines voies dévotionnelles intégrées.

On y cherche la stabilité, l’alignement, la justesse du geste intérieur.
Le souffle se régule, l’attention s’affine, le mental se décante.
Le corps n’est pas nié, il est rendu transparent.
L’énergie n’est pas excitée, elle est canalisée.
La sexualité, lorsqu’elle est présente, est intériorisée, symbolique, transmutée.
Elle devient offrande, non feu dévorant.
Elle devient langage plutôt que décharge.
Sans cadre, c'est l’oubli du feu intérieur, l'oubli de la puissance vitale pour une paix aseptisée.
Une clarté qui se coupe de la vie finit par se scléroser.
Mantras, visualisations, rituels sobres, méditation profonde…
le blanc trace une voie claire dans la complexité de l’expérience.
Rouge, la vie offerte sans retenue
Incarnation, union, célébration
Le rouge est la couleur du sang, du désir, de la chair vivante et vibrante.
La couleur de l’union vécue, non rêvée.

Le tantrisme rouge affirme que le corps est un lieu de révélation, un temple vivant.
et que l’énergie sexuelle, loin d’être un obstacle, peut devenir voie directe de reconnaissance.
C'est la forme la plus connue et la plus mal comprise du tantrisme.
Ici, la polarité est centrale.
Śiva et Śakti, conscience et énergie, présence et mouvement.
Une alchimie à concilier en soi.
La sexualité, ni refoulée ni transcendée, est ritualisée, ralentie, amplifiée, rendue consciente.
Elle n’est ni un divertissement ni une compensation, mais un rite incarné.
L’orgasme n’est pas une fin.
C’est un seuil, parfois franchi, parfois suspendu.
Sans cadre, le rouge se perd dans l’hédonisme.
Au lieu d'être une célébration lucide du vivant.
Le rouge est une quête d’intensité consciente.
Une seule voie, trois respirations
Ces trois couleurs ne s’opposent pas. À moins d'être dévoyée, il n'y a pas d'école rouge ou blanche ou noire.
Les couleurs se répondent.
Un tantrisme vivant sait quand descendre,
quand stabiliser,
quand s’offrir pleinement à l’intensité.
Il ne cherche pas à rester dans une couleur.
Il apprend à teindre l’instant juste.
Le noir donne la profondeur.
Le blanc donne l’axe.
Le rouge donne l'incarnation.
Le tantrisme n’est ni sombre, ni pur, ni érotique par essence.
Il est total et exigeant.
Ce texte ouvre une porte.
Chaque couleur mérite ensuite son propre espace, son propre rythme, sa propre descente.
Nous y reviendrons dans des articles dédiés.
Et en guise de seuil,
peut-être est-ce cela, au fond, la vraie transgression tantrique, sa radicalité :
ne rien exclure de l’expérience humaine, tout en refusant de s’y perdre,
refuser de mutiler notre réalité humaine pour rester, ou devenir, profondément conscient.



Magnifique ! Très bien écrit et inspirant. Merci pour ces clarifications et le partage de ton savoir. Cela donne envie de relire et d’approfondir.